Je suis belge, vous le savez déjà.
Dans ma région nous avons des personnages qui représentent l'esprit de ses habitants et leur histoire.
Il sagit... (oui Kokas) ... de Tchantchès et de Nânesse.
Nous sommes en 760 dans la bonne ville de Liège en Belgique. C’est le mois d’août et un bébé vient miraculeusement de voir le jour entre deux pavés du quartier " Djus-d’la-Moüse " au-delà de la Meuse. C'est un quartier mal aimé, méprisé même, des bourgeois de la ville. Il y a là-bas tout un peuple d’artisans, d’ouvriers et de commerçants qui vit en bonne intelligence dans un esprit d’entraide et avec un amour de la liberté.
La naissance de ce bébé rose et potelé se répand de ruelle en impasse et chaque habitant veut voir le nouveau-né. Quelle n’est pas la surprise des habitants de l’entendre gazouiller. Il s’éclaircit la voix puis se met à chanter. La chanson qu’il chante est loin d’être anodine ; c’est une chanson à boire et il l’entonne à pleins poumons : "Allons la Mère Gaspard, encore un verre, encore un verre !"
Chacun se propose alors pour adopter un enfant aussi peu ordinaire. Les boulangers veulent l’élever avec leurs deux enfants ; il ne manquera jamais de pain, il sera bien entouré, bien aimé. Leurs voisins protestent. Ils n’ont déjà pas le temps de s’occuper de leurs enfants qui traînent dans les rues tout au long du jour. Que feraient-ils avec un enfant de plus ? Le mineur propose de le prendre chez lui.
- Nous avons déjà cinq enfants, un en plus ne nous fait pas peur.
Les voisins trouvent à redire. Ils n’ont déjà pas de quoi nourrir leur progéniture et se serrent la ceinture du 1 janvier au 31 décembre.
Un peu à l’écart, à quelques pas du gros de la foule, un couple regarde le bambin avec des yeux remplis d’amour. Ils rêvent depuis si longtemps d’avoir un bébé. Timidement, ils s’avancent, main dans la main.
- Nous pourrions peut-être le prendre chez nous. Nous lui donnerons de la tendresse et de l’amour. Nous n'avons pas d'enfant et une grande maison.
- Bonne idée ! dit le charcutier. Qui plus est, vous habitez au centre du quartier. Nous pourrons ainsi voir souvent l'enfant. Il sera un peu notre enfant à tous et nous veillerons à ce qu’il ne manque de rien.
- Maintenant il faut lui donner un nom ! dit le poissonnier.
- Appelons-le François ! dit la mercière, c'est un nom joli et facile à retenir.
Ainsi fut fait. Cependant au quartier Djus-d’la-Moüse, personne ne l’appelle François mais Tchantchès, un diminutif qui lui va plutôt bien. Le garçon est gai comme un pinson, toujours souriant. Il rit dès son lever et seule une chose le met en colère. Il ne peut supporter de voir un récipient contenant de l’eau.
Pour nourriture, il reçoit des harengs saur qu'il trouve fort à son goût. Mais le hareng saur est excessivement salé et enflamme son gosier. Son père, à l’insu de sa femme, lui donne des biscuits trempés dans du Peket, un alcool de genièvre dont raffolent les Liégeois, qu'il aime beaucoup.
Le jour du baptême de Tchantchès, toute la population s’est donné rendez-vous à l’église. Il y a tant de monde dans le bâtiment, qu’un mouvement de la foule déstabilise la marraine qui laisse échapper son filleul. Il vient heurter son nez sur le bord du baptistère. Il n'en faut pas plus pour qu'une rumeur se répande : Tchantchès est devenu invulnérable.
Au fil des ans, son nez enfle, grossit, atteint une grandeur démesurée. Ses parents dépensent une fortune en baume et onguents de toutes sortes. Hélas ! rien n’y fait et le visage de Tchantchès devient difforme. Grâce à sa gaieté naturelle, son énorme nez ne le rend pas foncièrement laid mais plutôt drôle. Il devient même le modèle des masques de carnaval.
Un jour, qu'il attrape la rougeole, le médecin lui prescrit de boire un verre d’eau ferrugineuse chaque matin pour le guérir. Sa maman rassemble dans une marmite remplie d’eau tout ce qu’elle possède comme objets en fer : des clous, des fers à cheval, des vieilles clés ... Chaque matin, elle prélève un verre de cette mixture. Ce n’est pas bon du tout mais Tchantchès est un enfant obéissant qui ne veut surtout pas faire de peine à sa mère. Il vide son verre d’un trait en faisant un terrible grimace.
Un matin, il vide son verre comme à son habitude mais un morceau de fer reste coincé dans son gosier. Il ne peut plus lever ni baisser la tête, seulement la tourner de droite à gauche et de gauche à droite. Comme il aime tout particulièrement regarder les nuages, il prend l’habitude de se coucher sur le dos pour les contempler. Pour regarder les insectes sur le sol, il se couche sur le ventre. Sa joie de vivre n’est pas altérée pour autant.
Tchantchès grandit. En se regardant dans le miroir, il se rend compte de sa laideur. Il a honte, il est de plus en plus malheureux. Il ne sort de sa maison que le soir ou lorsqu’il est certain de ne rencontrer personne dans la rue. Il souffre atrocement de la solitude alors qu’il est fait pour rire, pour chanter et être bon avec le monde.
En 770, il vient d’avoir dix ans. A l’approche du 15 août et des fêtes de l’Assomption, les habitants recherchent activement celui qui acceptera de jouer le rôle de Saint Macrew. Personne ne veut se balader toute la journée dans une chaise à porteurs, le visage maculé de suie et devant subir les quolibets des villageois. Tchantchès, las de solitude, se propose et plutôt que de plier l’échine sous les plaisanteries, il répond du tac au tac ce qui lui vaut l’admiration de tout le quartier.
La laideur est peu de chose et l’humour et l’intelligence la font bien souvent oublier. Il a été sacré " Prince de Djus-d’la Moûse " et rencontre bien d’autres aventures. On dit qu’il est enterré place de l’Yser là ou s’élève encore aujourd’hui sa statue. Si vous passez par Liège, dans ce quartier, regardez bien... vous le rencontrerez certainement car il est immortel. (source :
http://www.chez.com/feeclochette/Ailleurs/tchantches.htm)